Le sens des mots

« On aurait dû dire non, résister davantage… mais comment ? »,

cette phrase de Franck Pavloff m’a fortement interpelé. Elle m’a amené à questionner mon métier d’artiste et à l’utiliser, presque politiquement, pour affirmer mon mécontentement face à la disparition progressive de l’état de droit.

Au départ, grâce à une formation très classique, j’ai eu la chance de rencontrer des auteurs et des metteurs en scène qui m’ont emmenés sur de jolis plateaux et même parfois en extérieur devant de beaux châteaux. Seulement souvent mes amis ou ma famille ne connaissaient pas les auteurs et les textes fabuleux que je jouais : plus j’ouvrais les oreilles, plus je me sentais déconnecté de la vie, de mes voisins, des jeunes avec lesquels je travaillais, et plus j’entendais cette phrase lapidaire : « de toutes façons le théâtre, c’est chiant, c’est pas pour moi »… J’ai alors eu envie d’être comédien pour eux aussi !

Puis auprès de Léa Dant, le théâtre du voyage intérieur, j’ai pris plaisir à incarner dans l’espace public des personnages réels, des gens me prêtaient leurs mots, leur pensée. Et ce fût pour moi de vrais instants de partage, rien ne me séparait plus du public.

C’est un peu comme ça que j’ai compris ce qui m’animait au fond… Pas seulement crier une colère dans la rue, mais surtout donner des textes à entendre de façon accessible et non pas seulement pour une élite choisie.
Pour la rue.

Naturellement, pour cela, on invente des codes, on utilise les espaces d’autres manières,
on accélère parfois le rythme en coupant outrageusement, et certains puristes s’en indignent.
Mais où est l’essentiel ?
Ne pas bouger une ligne ou trouver les moyens de « raisonner » et faire résonner les sens et les mots ?

Quelques mois avant les premiers gilets jaunes, je montais Antigone de Sophocle,
après 35 min de texte, le Roi de Thèbes crie devant son fils en larme (qui endossait un gilet bleu, je n’avais pas flairé le choix de la couleur !)… :
« Et c’est le peuple qui va me dicter ce que je dois faire ? »

Ces mots écrits il y a 3000 ans prenaient sens très concrètement dans l’espace public,
et ces gens, tous horizons confondus, appréciaient pleinement la langue et la poésie,
je crois qu’ils ont aimé aussi être bousculés par le jeu des acteurs !
Alors pourquoi priver la rue de ce plaisir là ?

Peut-être un jour pousseront-ils la porte d’un théâtre, peut-être pas,
mais je suis convaincu qu’il n’y a pas besoin d’être « averti » pour aller au théâtre,
il y a simplement des ponts à construire entre le texte et le public.

À ma façon j’essaye d’y contribuer.
Laurent Savalle